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Louise Chennevière
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Ce que je vois quand je regarde la photo de cette petite fille à l'aube de ce siècle nouveau, c'est qu'elle ne sait rien encore de ce que le monde va lui apprendre, et qu'être une petite fille est pour elle une joie parce que ça veut dire pouvoir devenir Britney Spears et que Britney Spears pour elle alors, c'est chanter et danser, c'est être dans son corps, sans crainte et sans distance, se sentir très vivante, c'est se tenir, très loin de la peur mais.
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La destinée de la femme est d'être comme la chienne, comme la louve : elle doit appartenir à tous ceux qui veulent d'elle.
Sade, La philosophie dans le boudoir.
Une femme parle. Elle accuse. Elle raconte. Elle prend la voix de plusieurs femmes. Récit fragmenté, éclaté comme les mille images entre lesquelles est tiraillé le corps de la femme. Chaque récit est un instant arraché à l'intime, une voix sauvée du silence, ce silence qui est l'histoire des femmes. Ce texte est une tentative de faire entrer par effraction dans la parole ce qui en a été toujours exclu, dire l'immense violence et les infimes douleurs. Et comment cet intime, le corps, la honte, appartient toujours déjà au monde, par les fantasmes, les discours et toutes les violences qui l'ont façonné et qui le hantent.
Ce livre est un exorcisme. Pour Louise Chennevière, « c'est une exploration de ces terres de l'imaginaire collectif qui modèlent notre singularité, c'est une tentative de comprendre comment on advient femme un jour, et pourquoi, quand on croyait avoir échappé à ce devenir déterminé, à ce destin du féminin, il vous frappe un jour comme ça en pleine gueule. » Chercher à savoir ce que cela veut dire, être faite femme par le monde et déjouer toutes les réponses.
S'agit-il des rêves, des délires d'une même femme ? De femmes différentes ? Il y a les dépossédées, ces femmes aux existences ravies par leur image, un homme, ou la maternité, et les possédées, ces femmes-monstres qui se réap- proprient violemment leur corps en prenant en charge l'infamie dont elles ont toujours déjà été frappées. L'histoire des femmes est du côté de cette « légende noire » des hommes infâmes qui est, selon Foucault, la légende de ces « vies qui sont comme si elles n'avaient pas existé ».
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Être amoureuse, follement, comme on peut l'être à vingt-cinq ans, et finir par être abandonnée. Connaître les doutes, les mensonges, les lâchetés, la jalousie. Histoire fatale et banale, familière. Celle des romans d'amour.
Celle des amoureuses de tous les livres. C'est à la fois l'histoire de la narratrice du roman de Louise Chennevière, et l'objet de sa révolte. Une jeune femme indépendante, soucieuse de vivre sa liberté, se retrouve pourtant prise au piège d'une passion ardente et d'une rupture, du cliché historique et littéraire de la passion. Tout le long d'une nuit, douloureuse, cathartique, elle repasse une dernière fois par tous les souvenirs, raconte, ressasse son obsession, éprouve jusqu'à son point limite l'absence. Elle écrit, pour tout à la fois, pallier le manque et l'accepter, pour oublier et se souvenir, célébrer l'absent et le détruire, l'enterrer, l'enfouir dans un mausolée de mots. Cette voix, parfois lyrique, parfois clinique, rejoue et traverse tous les lieux communs du délire amoureux, s'inscrivant dans la lignée des plaintes des amoureuses de la littérature. Une voix qui se sait héritée, construite, contre laquelle la narratrice se rebelle, mais contre laquelle, aussi, elle ne peut rien. Et tout au bout de la nuit, le livre impossible est là : un roman d'amour, malgré tout.